Parasha – 163 – Devarim 5784

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Nous commençons la lecture du dernier Sefer de la Torah qui est composé principalement du “discours” de Moché Rabénou au Peuple de Hachem avant de le quitter. Ce “discours” constitue une sorte de “testament” adressé par Moché Rabénou aux Bené Israël pour les préparer au long parcours de l’Histoire, jusqu’à la Gueoula ultime.

Le premier verset de la Paracha Devarim semble être une définition précise du lieu où Moché Rabénou s’est adressé aux Bené Israël “de l’autre côté du Yarden, dans le désert, dans la plaine, face à la Mer des Joncs (Mer Rouge), entre Paran et Tofel, et Lavan, et ‘Hatsérot et Di Zahav”.

Outre qu’une telle profusion de précisions serait pleine de contradictions internes, quel serait l’intérêt de souligner l’endroit particulier du “discours” de Moché Rabénou ?!

C’est pourquoi Rachi explique, sur la base des enseignements de nos ‘Hakhamim, que tous ces termes sont en réalité des allusions aux diverses fautes des Bené Israël pendant les quarante ans depuis la Sortie d’Egypte. Ces mots sont en fait les paroles mêmes que Moché Rabénou a adressées aux Bené Israël pour leur faire remontrance des diverses fautes commises pendant le séjour dans le désert.

Le premier verset du Sefer Devarim est ainsi un message de remontrances !

Le sens de ces remontrances, et leur place dans la Torah éveillent l’étonnement pour plus d’une raison :

-Nous lisons donc chaque année ces remontrances de Moché Rabénou à une génération passée depuis fort longtemps. En quoi les fautes des Bené Israël dans le désert justifient-elles une remontrance répétée d’année en année pour toutes les générations ?!

– de plus, même à l’origine, lorsque Moché Rabénou s’est adressé aux Bené Israël pour leur reprocher les fautes de la génération du désert, il parlait à la génération suivante, qui n’avait pas commis elle-même ces fautes ?!

Plus d’un commentateur souligne cette seconde question.

Le Sifté Cohen (Talmid du Ari Zal) remarque que les Bené Israël auraient pu répondre à Moché Rabénou qu’ils n’avaient pas commis toutes ces fautes qu’il leur reprochait. Leur silence est retenu à leur mérite.

Le Chem MiChmouel (année 5678) rapporte le Midrach (Devarim Rabah 1, 13) qui soulève cette question : “Les Bené Israël auraient pu lui dire : “Notre Maître Moché, nous, y a-t-il en nous une de toutes les choses que tu nous reproches ?! et nous avons accepté tes remontrances”. Mais ils se turent.

Rav Its’hak Zeev Yadler (Tiférèt Tsion) explique ce Midrach. Il dit qu’ils ont accepté ses remontrances pour des fautes qu’ils n’avaient pas commises eux-mêmes parce que l’essentiel du rôle du Tsadik est de réparer les fautes de ses ancêtres des générations anciennes, comme Avraham Avinou qui s’efforça toute sa vie de réparer la faute du “Ets HaDaat” (l’Arbre de la Connaissance) d’Adam Harichone.

Le silence des Bené Israël constituait une acceptation de cette mission, et c’est pourquoi Moché Rabénou les bénit suite à cela : “Que Hachem ajoute sur vous comme vous mille fois, et qu’Il vous bénisse comme Il l’a dit pour vous !” (Devarim 1, 10-11).

Le Chem MiChmouel explique que réside là le sens du verset “Qui reporte la faute des pères sur les fils …” (Chemot 34, 7) dont les ‘Hakhamim expliquent qu’il s’applique lorsque les fils poursuivent les mêmes fautes. Tant que les fils ne répètent pas les fautes de leurs pères, Hachem ne les “reporte” pas sur eux.

Le Chem MiChmouel explique que Moché Rabénou n’a mentionné les fautes que par allusion (par les termes du premier verset) pour souligner que ces fautes n’étaient pas activement présentes chez cette génération, mais uniquement à titre de “traces” potentielles. C’est pourquoi pour les fautes dont le “souvenir” reste actif au long des générations (ce qui montre qu’elles sont pleinement présentes chez nous), la faute du Eguel (Veau d’Or) et la faute des Meraglim (Explorateurs), dont nous “payons” les séquelles au fil des générations, même si c’est sous une forme différente Moché Rabénou les a mentionnées clairement plus loin. (Ces deux fautes sont la source des catastrophes qui se sont abattues sur notre Peuple du 17 Tamouz, anniversaire de la faute du Eguel, au 9 Av, anniversaire de la faute des Meraglim. C’est la source de la période des “Trois semaines” qui marquent durement notre calendrier chaque année).

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Description générée automatiquementLe Sfat Emet souligne pareillement que chaque génération doit s’appliquer à réparer les fautes de la génération précédente, car tout comme ils héritent des “mérites” de leurs prédécesseurs, ils sont “à leur place” pour réparer leurs fautes. Il relie, lui aussi au verset “Qui reporte la faute des pères sur les fils …”. Il ajoute que c’est le sens de l’enseignement (Talmud Yerouchalmi Youma, 1,1) : “Toute génération où il (le Bet Hamikdach-Temple) n’a pas été reconstruit à son époque, est considérée comme si elle l’avait détruit “. Car s’ils avaient réparé la faute antérieure, le Bet HaMikdach aurait tout de suite été reconstruit.

Ce lien à travers les générations demande explication ?!

Nous sommes habitués à considérer les fautes et les mérites comme des faits “individuels”, à l’image des délits dans le code des sociétés. La responsabilité d’un homme pour les actes d’un autre, et encore plus de quelqu’un d’une autre génération qu’il n’a même pas connue, nous est totalement étrangère.

Pourtant, au niveau physique cette notion est couramment admise, comme en témoignait la languette qui se balançait dans les wagons de métro jadis, représentant un personnage debout dans un verre de vin, accompagné de la légende “les parents boivent, les enfants trinquent !”. Il s’agissait d’une campagne “santé-sobriété” destinée à mettre en garde contre les effets néfastes de l’alcoolisme des parents sur la santé des enfants. On voit là qu’il y a effectivement “continuité” des générations sur l’équilibre de l’organisme.

Mais nous sommes surpris de découvrir une continuité comparable au niveau des actes !

Il nous faut découvrir la même réalité au niveau spirituel.

Dans la Paracha Nitsavim (Devarim 29, 17) Moché Rabénou justifie la nécessité de conclure une “alliance” entre Hachem et les Bené Israël par le risque qu’émerge une tendance à se détourner de Hachem. Il qualifie cette éventualité de “racine” qui produira des “herbes amères”. Le Ramban explique le terme “racine” en disant qu’il ne s’agit pas encore d’une vraie déviance, mais d’une “tendance” sans concrétisation par une faute quelconque. Toutefois il y a un “léger écart” au plus profond de l’être qui s’agrandira dans les générations à venir. Le Ramban explique : “du doux ne sort pas l’amer”, de quelqu’un qui est totalement dévoué à son lien avec Hachem ne sort pas (sauf cas exceptionnels qu’il ne développe pas …) un idolâtre.

Il ressort de cela que l’Histoire est une unité depuis la Création jusqu’à la venue du Machia’h, dont chaque génération est un maillon. Tout comme une génération est une entité où chacun est lié à tous les autres, et est de ce fait responsable de leurs actes, ainsi l’ensemble des générations constitue aussi un tout !

C’est ce que développe Rav Dessler (Mikhtav MeEliahou I, p. 8-15) en expliquant que nous sommes les héritiers des efforts des Avot (Patriarches) qui ont affronté des épreuves qui leur ont fait acquérir des “caractéristiques” spirituelles qui sont devenues des “caractères acquis transmissibles” à l’instar des caractères génétiques acquis. Il explique ainsi le sens de “Zekhout Avot”, que nous traduisons par erreur “mérite des ancêtres”, en croyant qu’il s’agirait d’une sorte de “joker” que nous brandirions face à Hachem pour échapper aux conséquences de nos actes. Il n’en est rien ! Il s’agit en réalité de “Zakhout” (Limpidité), c’est-à-dire la clarté spirituelle qui est la nature profonde des héritiers des Avot. Certaines générations peuvent, individuellement ou collectivement, l’estomper et sembler y être totalement étrangères, mais elles en portent cependant suffisamment le capital pour transmettre le potentiel qui pourra se réveiller à une génération ultérieure. Telle est l’explication des retours souvent incompréhensibles à la Torah … Rav Dessler développe encore cette notion relativement à la fête de ‘Hanouka (Mikhtav MeEliahou II, p.111 et suivantes) en expliquant que l’élan de Techouva d’alors a été à ce point puissant que ses effets s’étendent à toutes les générations !

Le Midrach (Chir HaChirim Rabah, 1, 24) rapporte que lorsque Hachem annonça Matane Torah (le Don de la Torah), Il demanda aux Bené Israël des garants qu’ils la garderaient. Ils proposèrent d’abord leurs Avot, dont l’influence devait s’étendre sur toutes les générations, mais Hachem refusa. Ils finirent par proposer leurs enfants, et là Hachem accepta, comme l’exprime le verset de Tehilim “de la bouche des petits enfants et des nourrissons Tu as fondé la “puissance” (La Torah). La garantie de l’aboutissement favorable de l’Histoire réside dans la continuité qui traverse les générations. Les actes des ancêtres façonnent les caractéristiques des descendants, et les actes des descendants sont appelés à corriger les erreurs du parcours de leurs prédécesseurs.

Toutefois nous restons étonnés sur cette continuité qui ne s’explique pas à nos yeux lorsqu’il s’agit de fautes “d’idées” comme l’idolâtrie ou le “négationnisme” de toute spiritualité qui s’est répandu comme une gangrène parmi nos frères dans les derniers siècles.

Rabbi Yehochoua Heller (Toldot Yehochoua sur Avot, Chap.5, 2) explique la Michna qui relie les générations d’Adam à Noa’h, puis de Noa’h à Avraham.

Il développe que les fautes sont de trois sortes :

-les plus légères, “‘Heth”, au niveau de l’action commise par inadvertance, ne sont pas “transmissibles”.

-les plus “lourdes”, “Pècha”, la rébellion contre Hachem par conception faussée n’est pas non-plus transmissible.

-les fautes délibérées “Avone”, liées aux appétits ou autres tendances “naturelles” pas contrôlées sont inhérentes à la personne dans sa “profondeur”. Celles-ci sont héritées, comme les qualités positives le sont également.

Il remarque que chaque fois que la Torah ou les Neviim (Prophètes) parlent de responsabilité des enfants pour les fautes des parents, il s’agit de “Avone”, faute liée aux Midot (traits de caractère) ou Taavot (appétits) qui sont “naturelles” à l’homme. Par contre, lorsqu’il est question de “‘Heth” ou “Pècha”, la Torah et les Neviim soulignent l’absence de responsabilité d’une génération pour l’autre.

Toutefois même les fautes qui nous semblent de prime abord du domaine des “idées”, ont, le plus souvent, leur source dans les Midot. Nos ‘Hakhamim ont enseigné (Guemara 63b) que les Bené Israël n’ont pratiqué l’idolâtrie que pour se permettre les liaisons interdites ouvertement. Ainsi tout le parcours de l’Histoire est une lutte permanente pour retrouver le niveau de lien intègre sans calcul de l’Homme avec Hachem avant la faute initiale.

Rav Dessler développe (Mikhtav MeEliahou, III, p202-218) l’analyse de l’Histoire à travers les Galouyot (Exils) jusqu’à l’aboutissement avec l’effondrement de la puissance dominante de cette Galout, qualifiée de Galout Edom (du nom d’Essav), et la venue du Machia’h.

Nous avons donc un double “challenge”, au niveau individuel et collectif, de réparer les faiblesses qui nous habitent.

Tel est le message de la Paracha Devarim que nous lisons chaque année avant Tich’a BeAv, pour nous rappeler le sens de la Galout et les efforts à accomplir pour arriver enfin à la Gueoula complète.

Chabbat Chalom !

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